Killing a Hipster
Sarg 31/12 à 09:47
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Paru dans le magazine Twice.
www.twicezine.net

KILLING A HIPSTER

Ndla: à lire en écoutant « Rejected » de Parking Dance et « Last Rites » de Candélabre.


- Ah, le Post-Punk, c'est la musique qu'écoutent les Hipsters en ce moment, non? me balance Claire tout en prenant mon manteau.
Reste calme, Sarg, reste calme. Respire. Rebois une gorgée de bière pour cacher l'écume de rage que tu as au coin de la bouche. Résiste à l'envie de la tuer et d'allumer une clope (oui, j'essaye d'arrêter de fumer, ce qui explique l'état de mes nerfs pour le présent papier). Elle n'y est pour rien et de toute façon, avant d'aller vendre ses organes sur le darknet, il faudrait que tu saches comment les prélever, faudrait trouver des tutos sur youtube, trop long, trop chiant, reprends plutôt une part de pizza et fait le gothique qui va pleurer et rire sur le balcon en regardant tomber les feuilles d'automne et en contemplant ton humanité perdue tandis que meurent les cabarets de Berlin. Quoi? Oui, j'écoute du Sopor Aeternus en ce moment.
La remarque de Claire à cette soirée d'anniversaire quelconque me fait chier. Ce n'est pas de sa faute, elle ne fait que commenter un phénomène aussi naturel qu'une invasion de sauterelles, la fonte des glaces, une crise d’hémorroïdes ou la caisse qui ferme quand c'est enfin ton tour: shit happens, tu n'y peux rien, tout mouvement alternatif se fait un jour ou l'autre dépouiller par ces connards de Hipsters. Ces trous du cul sont la huitième plaie d’Égypte. Alors sur ce balcon, face à ma ville qui à cette heure, branchée sur Ruquier, écoute dégueuler Christine Angot (égérie des Hipster s'il en est), je mets du Bérurier Noir et je cris tel un trasher devant un poster de Mötley Crüe:
- Kill the Posers!
Ca ne sert à rien mais ça défoule.
Il convient à ce stade d'expliquer aux moins citadins d'entre nous ce qu'est un Hipster. Ce n'est pas juste un mec qui se croit à la mode d'avant-hier en pompant le look d'un bûcheron canadien gay, c'est le terme qui définit par défaut l'un des plus grands fléaux de l'humanité depuis les années 40 aux USA. Il y en a toujours eu, partout, de tous temps et sous divers noms: les Branchés, les Précieux, les In, les Véronais, les Uptown, la Hipe, les Dandies, les Zazous, les Patriciens. Et ils sont... Une sorte de Némésis pour nous.
Là-aussi, en cet instant précisons ce "nous": que tu sois indé, dark, underground, hippie, alternatif, alterwave, rasta, punk, goatransiteur ou je ne sais quel nom à la con que les Hipsters, justement, ont donné à ta sous-culture, tu fais partie de ce "nous". Et tu dois craindre ces Hipsters, qui sont un des premiers signes de la fin du monde. Tout au moins de ton monde.
Le Hipster est à plaindre, en vérité. Sa vie... Sa vie est pathétique. Car il ne s'agit pas pour lui d'être passionné par quelque chose, d'explorer des années durant une forme d'expression pour en tirer une substantifique moelle qui va l’imprégner en profondeur. Non, c'est même tout le contraire. Une seule chose intéresse fondamentalement le Hispter: être en avance de la mode de demain, qu'elle soit musicale, vestimentaire, capillaire ou même culinaire. Il n'est que posture. Une musique, un vêtement, un restaurant, parfois même une destination de vacance... Peu importe, le Graal pour ce pauvre gars consiste à pouvoir se branler d'être le premier à t'en parler. Dès que le grand public (ces gens qui selon lui rêvent de lui ressembler) s'y intéresse aussi sur les conseils avisés de son blog/ chronique/ mag/ vidéo youtube, il l'abandonne et cherche sa victime suivante.
Pourquoi dis-je victime? Parce qu'en règle générale, vu que le Hipster ne prend absolument pas le temps d'approfondir quoi que ce soit, et bien dès qu'il se sera lassé de la nouveauté, il va livrer sa proie à son complice proxénète: les médias de masse. Ces derniers, avant de vendre leur nouvelle pute à leurs clients, vont bien sûr la déshabiller de tout ce qui pouvait la rendre un temps soit peu séditieuse, politique, transgressive, agressive, bref intéressante, et n'en garder que l'esthétique (ce qui est bien plus simple en terme de produits dérivés). Et tout ça parce que trois connards de Hipsters auront décrété autour d'un kir-papaye que c'est "le Hotspot" du moment
Oui, le Hipster mélange les langues. C'est pour te faire croire qu'il est jetlagué et qu'il revient d'une transe shamanique à Bornéo. Alors qu'il était dans un salon à UV dans le 15° arrondissement.
Comment en suis-je venu à parler de tout ça avec Claire, déjà? Ah oui, elle me demandait ce que je foutais, pourquoi j'arrivais si tard à sa soirée.
"On s'en fout" me dis-tu, voix intérieure qui s’immisce dans ce billet d'humeur? Non, pas du tout. Bien au contraire, c'est complètement lié au sujet.
Si je me suis pointé vers minuit à cet anniversaire auquel je suis convié par politesse, c'est parce que plus tôt, je suis allé voir Candélabre (voir interview dans le présent numéro de ton magazine préféré) qui jouait à la Cave à Rock. J'avais vu passer le flyer sur le net, écouté le son, carrément accroché et décidé d'aller au concert. Et j'y vais seul, car ma bande d'enfoirés de potes avait décidé d'être vieille, jeune parent, occupée, malade, trop loin, pas intéressée, fatiguée, pas là, promis d'arriver tôt à cet anniversaire en question, inscrite pour une raid en ligne ou tout simplement avait la flemme.
La Cave à Rock est un lieu assez récent à Toulouse mais qui fleure bon les années 80, bien qu'ouvert seulement l'année dernière. Elle se trouve derrière la gare, dans un quartier miteux cernée par les putes, les clodos, les barres d'immeubles et les lignes de bus crasseuses. L'extérieur est miteux et à l'intérieur, le gros de la déco est faite par les affiches des concerts à venir. Metal, punk, post-punk, HC et autre sous-cultures du rock ont eu vite fait de coloniser le lieu, tant le nombre de bars et de club où te produire quand tu es chevelu a fondu comme neige au soleil ces dernières années. Le bar est à l'étage, les concerts se font à la cave, comme son nom l'indique, avec parpaing de ciment à nu, traces de travaux et stickers de groupes collés à la sauvage, bref, j'adore ce lieu. Les tables sont en plastique, la bière est bonne, pas de frime, pas de chichi, t'es là pour tes potes et pour le son.
J'arrive en retard mais les groupes l'étant plus que moi, c'est pile la première partie, Parking Dance, qui commence. Connais pas. Voyons voir.
Et le Miracle s'accomplit.
Être dans l'alternatif, finalement, ce n'est peut-être que ça: la recherche d'une énergie ressentie une fois, par hasard, à laquelle on est devenu accro. J'ai déjà raconté ce premier frisson musical à l'écoute des Fields of the Nephilim, ce sentiment génial d'être cueilli par surprise par une musique pour la première fois. Tu ne savais pas, tu n'étais pas préparé et soudain, le Miracle, une musique nouvelle t'envahit, te bouleverse et quelques fois te transfigure. Et cette sensation est une drogue.
Parking Dance me prend au dépourvu tant je ne m'attendais à rien, ne savait rien du projet et n'avait même pas prévu de le voir. Dès les premières notes, je sens cette espèce de grésillement dans tout mon corps, dans ma tête, le pied bouge, les épaules suivent, un morceau, un deuxième, l'énergie du Live se déverse sur la vingtaine de péquins que nous sommes dans cette cave humide aux lumières blafardes. Parking Dance enchaîne, me racle la tête, je ferme parfois les yeux, je ressens l'emprise qu'il a sur les gens autour, gens que je ne connais pas mais qui en cet instant sont en train, tout comme moi, de rajouter une case dans leur mosaïque musicale personnelle. D'autres descendent quelques secondes, écoutent et, n'entrant pas en résonance, remontent boire une bière et/ou draguer une inconnue.
Moi, en bas, j'ai oublié qui je suis, je m'en fous, je me secoue, je suis avec cette musique et rien d'autre, l’égrégore du concert fonctionne à plein régime. Je ne pense à rien, même pas au fait que, bien sûr, vous allez pouvoir retrouver Parking Dance en interview dans ce numéro. Le concert fini, je ne reste pas. Je pars sans avoir vu Candélabre. Ils rejouent un mois plus tard, j'irai ce soir-là (c'était super aussi, du reste), mais en cet instant, j'ai les oreilles trop remplies par cette première partie imprévue ; l'émotion de l'instant, c'est la sienne, rien d'autre ne peut rentrer avant qu'elle ne s'estompe un peu. Je suis comme ça, quand je sors d'un concert qui m'a "attrapé", j'ai besoin d'un sas, d'un temps mort pour me remettre, digérer, intégrer... Savourer aussi. Savourer cette sensation de découverte brute, brutale, en live, sans filtre. Ce sentiment rare est pourtant le meilleur remède contre le “ouais, j'ai la flemme de ressortir, je vais me mettre avec un pled et un paquet de mmns devant Netflix”.
Bon sang, Sarg, c'est quoi le rapport avec les Hipsters, merde!?
Du calme, voix intérieure si rigoureuse, j'y viens.
Ce soir de septembre, tandis que je me dirige mollement vers cet anniversaire auquel je n'ai plus envie d'aller car définitivement plus dans l'ambiance "musique salsa, filles bourrées dansant mal les mains en l'air en beuglant, mecs affalés sur un canapé roulant des joints sans conviction, discussions de bon ton sur Macron ou sur la Casa de Papel", je repense à ce que je viens de vivre. C'était fort, intense, tout au moins pour moi. Et je prie pour que la Cave à Rock et les groupes qui y jouent ne croisent jamais la route d'un Hipster, venu là parce que c'est l'endroit où il Faut Être en ce moment. Pire, l'endroit où il Faut se Montrer. Qui, demandant une marque de bière dégueulasse mais qu'il Faut Boire ces jours-ci, vite, vite, avant qu'elle ne soit commercialisée en grande surface et donc "so Has-Been, tellement provincial" (je hais ce terme, allez tous vous faire enculer!) pour aller écouter Parking Dance dans cette cave "so eighties, ma chérie, so creepy, j'adooooore" (Crève étouffé par ta vapoteuse, s'il te plaît!) et, ne comprenant rien à ce qui se passe et donc trouvant ça cool (le Hipster n'aime ou ne prétend aimer que ce qui est cryptique, car il faut que le grand public croie qu'il détient lui une science supérieure à leur pauvre vie de camping à Palavas-Les-Flots), va nous chier un tweet inepte du genre "Parking Dance@La Cave à Rock: tellement dans la London Wave, très 80 spirit, j'adore #soundoftomorow."
C'est ce qui fait des Hipsters notre ying, le Magneto de notre Charles Xavier, les Frères Wright de notre Mc Coy, le Dracula de notre Van Helsing, c'est que ces parasites, ces sangsues qui se branlent sur le fait de n'avoir pas à faire la queue pour entrer au concert de Depeche Mode parce qu'ils sont "guest+2" (L'évaluation sociale chez les Hipsters se fait sur le nombre de personnes qui peuvent t'accompagner sur une invitation personnelle. Oui, je sais, c'est pitoyable), ces tarés qui se targuent de n'avoir rien à acheter car on leur offre tout là où nous sommes nous des rats du vinyle collector et du t-shirt en fin de concert, ces Poseurs creux, ces gens qui cessent d'écouter un artiste une fois que plus de vingt personnes en ont entendu parler quand nous permettons à des groupes sexagénaires de continuer de tourner par passion, ce sont eux qui ont transformé le rap en disco-dance inepte, ce sont eux qui ont fait de la synth-wave un truc grotesque sans âme et vidé de toute froideur pour quelques vieux bavant sur des pétasses russes dans un club lounge à la con sur les quais parisiens. Nous sommes des passionnés de ce qui est pour beaucoup devenu un mode de vie. Eux sont dans une vie à la mode.
Ce furent surtout eux qui à un moment donné, fin des années 90, décidèrent de s'intéresser à Marylin Manson ou Rammstein. Vous voulez que je vous rappelle quelles en furent les conséquences pour nous?
Au passage, c'est aussi à ces ânes qu'on doit la mode du gluten free, des soirées accouchement ou de l'apéritif rosé-pamplemousse (vite, une bassine!).
Puisse leur intérêt pour le post-punk passer vite. Puissent-ils ne jamais entendre parler du néo-folk. Puissent-ils tous crever dans un film de Claude Sautet.
Kill this Posers!!

Quoi, les metaleux emploient cette expression à notre sujet?
Et les Hipsters disent que le fanzine papier, c'est "trendy"?
Ta gueule, voix intérieure, ta gueule. Je vais monter le son, c'est le EP de Candélabre et ça déchire.
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