Le temps ne change rien à l'affaire (air connu)
Sarg 11/03 à 08:00
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Voici mon billet d'humeur publié dans l'excellent magazine Twice.

LE TEMPS NE CHANGE RIEN A L'AFFAIRE (AIR CONNU)…

Ndlr : A lire en écoutant « Deliquescent Exaltation» de Malepeste.


Toute ressemblance avec des personnes ayant existé n'est absolument pas fortuite.

- Mort aux cons ! s'exclame Juju. Pas aux condés, Sarg : Mort-aux-cons !!
Et là dessus, elle s'allume encore une clope, contemple son paquet quasi-vide et rajoute :
- 'tain ! Je fume trop. C'est les nerfs.

Juliette (Juju, donc) a la trentaine, le t-shirt « fuck hell, I will go to Valhalla » et les cheveux rasés sur le côté. Sur son épaule droite, une rose qui saigne (« oh, ça va, on a tous eu 15 ans! ») et sur le bras gauche, un motif plus personnel représentant, entre autre, la cabine téléphonique du Docteur Who. Elle est ce qu'on appelle une bénévole professionnelle : rien que cette année, elle a traîné sa tente et son réchaud sur le Hellfest, le Motocultor, l'Extrême Fest et le Ragna-Rock. Ce n'est pas exactement une amie, mais à force de la croiser sur les festivals où je joue, tu échanges des bières, tu papotes, rappelle-moi ton prénom, bref, tu sympathises.

D'habitude, quand je la croise, elle a le sourire, passe en courant en criant « Hey ! Sarg ! T'es là, c'est trop cool ! On se voit après, faut que j'aille (au choix) recharger le stock de flotte, nettoyer les toilettes sèches, remplacer Tonio à l'accueil, bâcher la sono, faire une salade de riz, essayer de voir enfin un concert en entier. »
Elle est comme ça, Juju : elle est débordée. Jamais le temps d'être fatiguée, ou blasée, ou douchée et même nourrie. D'où ma surprise de la voir si furax, assise (chose déjà très rare pour une bénévole de festival), en train de s’attraper un cancer du poumon version exprès. Ce soir, la Juju, et ben elle en a gros.

Mais il faut dire que cette année encore, la palme de la connerie sera dure à attribuer et les candidats ne manquant pas.

Il y a, tiens, par exemple, ces réactions furibondes de tous ceux (et ils sont nombreux, si l'on en croit le forum du Hellfest) qui reprochent au Bal des Enragés d'avoir chanté « Cayenne » (« mort aux vaches, mort aux condés ! ») du fait que, vu le contexte ambiant, les attentats, les manifs, vous comprenez bien ma pauv' dame, c'est-y pas malheureux de glorifier ainsi la haine des représentants des forces de l'ordre.
Tâchons de rester calme (« c'est tous des abrutis!! » gueule Juju en renversant sa bière) : cette chanson d'Aristide Bruant date du début XXème et raconte la chute au bagne d'un maquereau. Elle fut très en vogue dans les milieux anarchistes. Soupçonne-t-on sérieusement tous les artistes qui la chantent (Parabellum, Le Peuple de l'Herbe, Sanseverino…) de souhaiter non seulement la mort des flics mais aussi de vanter les mérites du proxénétisme !? Non, pas plus qu'on ne s'attend à voir les membres de Cannibal Corpse dévorer vivant qui que ce soit. Nous avons beau jeu de nous moquer de Christine Boutin et autres Mireille Dumas qui ne comprennent pas notre folklore quand nous sommes les premiers à faire de même !

- Attend, tu ne sais pas la meilleure ! Y eu aussi l'autre connard qui…

Calme-toi, Juju, respire. Laisse, je vais leur expliquer, toi, t'es pas en état. Sur le festival Down On Earth, en Pologne, deux enragés du bras tendu, pleins comme des barriques (« ça, Sarg, ça compte pas, c'est la Pologne ». C'est pas faux…) se sont défoulés à grands coups de pieds sur un chaland qui portait un t-shirt estampillé faucille et marteau. Et bien figurez-vous qu'après avoir stoppé la baston, les organisateurs n'ont rien trouvé de plus intelligent que de virer le communiste susdit pour provocation !

Qu'est-ce qu'on a d'autre… Ah oui ! Sos Racisme et la LICRA ont attaqué le Ragna-Rock Festival pour avoir programmé des groupes estampillés NS Black Métal. Et le fait est qu'ils n'avaient pas tort : les gugusses de Graveland ou Nokturnal Mortum ne laissent aucun doute sur leur idées et leurs textes sont on ne peut plus clair. Ce qui m'intéresse en l’occurrence n'est pas de savoir si on peut programmer ou pas de tels groupes, s'il fallait ou non boycotter le festival. A chacun son avis sur le sujet et le débat est légitime. Non, ce qui me facilite le transit intestinal, c'est que Sos Racisme a confondu Malapesta, un groupe de nazillons ukrainien qui n'était pas sur la prog, avec les lyonnais de Malepeste (groupe de Black/Doom ritual, tout à fait excellent, d'ailleurs). Ces derniers se retrouvent du coup à devoir se justifier dans tous les sens. Mais bon, errare humanum est, faute avouée, tout ça tout ça...
Tu crois que Sos Racisme se fendrait d'un petit communiqué d'excuses du genre « pardon, désolé, on est des buses, on n'a pas vérifié nos infos avant de faire notre tweet ! » ? Bien sûr que non, mon colon ! Et les moutons qui ont repris la dépêche de l'AFP sans sourciller sur les chaînes d'infos et autres ? Allo ? Personne ?
Au passage, le crétin à casquette Black M (n'allez surtout pas écouter, vous n'y survivriez pas!), joué en boucle sur toutes les radios, était programmé à Lyon, à seulement cent bornes de là. Régulièrement homophobe, incitant à la consommation de drogue ou suggérant aux ados de tirer sur leurs conseillers d'éducation, son concert à lui n'a visiblement ému personne.

Tiens, sinon dans la catégorie « connard de première », vous avez le débile qui avait pris une perche à selfie au Dark Fortress en Russie et qui, bousculé par la foule, a crevé l’œil d'un pauvre mec de la sécu. Et mention spéciale dans le genre « mes parents doivent être un peu frère et sœur » pour les abrutis du Saupzik en Autriche qui ont garé leur camion en plein milieu de ce qu'ils croyaient être un camping et se sont fait courser par un taureau.
Non, la palme de la connerie est attribuée cette année au groupe Belphégor : arrivés sur le site cinq heures en avances sur le planning, ils ont exigé qu'on vire le groupe qui occupait leur future loge. Après avoir insulté les bénévoles qui ne la leur nettoyaient pas assez vite, ils ont réquisitionné le frigo du bar backstage pour leur usage exclusif. Pour continuer dans cette ambiance, ils ont réclamé à grand cris d'avoir la tente de merchandising pour eux tout seuls (« je vais les descendre à la cave et leur travailler la gueule au fer à souder !!! » Cris pas, Juju, cris pas, je suis à un mètre !) puis, parce qu'ils ne voulaient pas commencer leurs réglages son à l'heure prévue afin de ne pas décaler leur apéro, ont mis deux heures de retard dans la gueule de tout le festival. On rajoutera une main au cul d'une bénévole pour faire bon poids.

Le jour commence à se coucher. Autour de nous les scènes bourdonnent, ça crie, ça se bouscule, ça bouffe de la barquette de frite. Juju est assise sur sa palette de Cristalline. Elle est fatiguée, elle a mal aux pieds, mal à la tête et je pense que le prochain sandwich triangle qu'elle voit, elle le fout au feu à la gloire de Satan.
- Tu sais qu'en trois jours, vous êtes le seul groupe qui a pensé à dire un petit merci aux bénévoles et à la technique ? Pfff… Si c'est pour voir autant de comportements minables et des mecs bourrés hurler sur de la musique trop forte, pas foutus d'avoir un minimum de politesse et de respect des autres, franchement… Autant aller directement à la Féria de Bayonne.
- T'as mangé quelque chose aujourd'hui ?
- Pas eu le temps. Je crois qu'après le fest, je vais aller camper toute seule en Ariège. En espérant que les ours ne soient pas trop mal léchés.
Elle se lève, s'étire, jette sa canette dans la poubelle bleue, déplace deux assiettes en carton de la poubelle verte vers la jaune en marmonnant « 'tain, c'est pas compliqué, quand même ! » puis me lance en s'éloignant :
- A plus ! Faut que j'aille vérifier que Daemonya Nymphe a tout ce qu'il faut en loge.

Elle est comme ça, Juju, elle et tous ceux qui lui ressemblent : un petit coup de mou et ça repart. Cette année encore, à la fin de l'été, elle dira qu'y en a marre et qu'elle arrête. Puisse-t-elle ne jamais le faire. Ce papier lui est dédié, à elle ainsi qu'à tous ceux qui, minent de rien, nous permettent de nous éclater chaque année. Et mort aux cons !
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