Goth in comics.
Sarg 22/08 à 12:08
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Pour faire le lien avec le post de Kendrel dans le forum général, voici mon article publié sur le sujet dans l'excellent magazine Twice.

GOTH IN COMICS
Je t'aime, moi non plus!


Soyons directs  : il ne surprendra personne que des gens à l'apparence singulière, aux idées (supposées) étranges ou tout au moins marginales, aux vêtements qui de cuir qui de latex, aient pu intriguer l'univers du comic depuis le début. Nous assumons tous, j'espère, que notre look provoque chez le quidam des réactions souvent mitigées, pour ne pas dire carrément hostiles. C'est même souvent le but. En ce sens, des types avec des capes et des slips en lycra par dessus le pantalon (spandex)... Ma foi, disons que j'ai déjà vu bien pire en soirée. Et au jeu de la récupération, au delà de The Crow, celle qui eut le plus de succès côté Corbeaux et côté bande dessinée est sans conteste Siouxsie. Mais j'anticipe.

I «  Au commencement était le Verbe  »

Pour ceux qui ne connaissent des comics que les films, une petite mise au point. La bande dessinée américaine (ou comic, donc) est depuis ce que l'on appelle le Golden Age (fin des années 60, en gros) une sorte de baromètre des peurs et aspirations de la société US. Sous couvert de métaphores (les mutants pour la ségrégation, le Punisher pour les traumatisés de guerre, Batman sur le débat sécuritaire, Hulk pour l'arme atomique...), les comics expriment mieux encore qu'Hollywood ce qui turlupine nos voisins outre-atlantique. L'idéologie y est très présente et chez les deux principaux leaders du marché que sont Marvel (en gros démocrates, avec les X-Men, Spiderman ou les Avengers) et DC (disons républicains, avec Batman, Superman, Flash...), on ne se prive pas d'assumer ses convictions. Pour vous donner une idée, DC attendra 1991 pour avoir un personnage noir qui ne soit pas un méchant et recevra des menaces de mort en 2013 pour avoir fait d'une de ses héroïnes une lesbienne sur le tard. De son côté, Marvel fait des mariages gays en couverture entre ses personnages, consacre un plein numéro de Hulk au VIH ou crée des héros handicapés et/ou noirs, asiatiques... A partir de là, on peut le voir jusque dans ses films, Marvel sectionne son propre univers entre deux familles de personnages  : les Avengeurs et affiliés (socialement mieux intégrés, propres sur eux) et les Mutants (plus marginaux, anti-héros, border-line). En quoi tout ceci nous concerne  ? Une minute, je finis ma clope et j'arrive.

II Punk's dead

Lorsque arrive la déferlante punk à la fin des années 70, la fascination du monde des comics est immédiate. Sauf qu'il y a un soucis  : mettre en avant des mecs au look crados, picolant comme des pompiers et politiquement radicaux, le Comic Code (l'autorité de surveillance de la BD américaine) s'étrangle et hurle à la mort dès qu'on tente d'en faire des héros. DC se fait d'ailleurs un plaisir d'en faire des méchants (le très méconnu PunK Master (si, si, ils ont osé...) a, entre autre le pouvoir de contrôler sa horde de punks par l'alcoolisme et sera vaincu par Flash qui les rend malade et les fait vomir grâce à sa vitesse. Sans commentaires). Côté Marvel, on n'arrivera pas, malgré quelques tentatives avortées, à rendre héroïque des communistes et des anarchistes (on est toujours en pleine guerre froide). Exit donc les Punks. Tout au plus donnera-t-on des éléments de leur look à certains de leurs héros (Dans les années 80, les X-Men ressemblent à un condensé des look punko-gotho-metalo-wave).
Quand les Gothiques arrivent, par contre, ce n'est pas la même chose. Les protestants puritains de DC en feront de méchants satanistes et/ou déviants immoraux (voir les ennemis de Batman), mais du côté de Marvel, on regarde ces ados mal dans leurs peaux, aux tenues excentriques et vivant en marge comme l'incarnation vivante de, grosso modo, la moitié des personnages du catalogue. Il faut donc surfer sur la chose. Mais les Joy Division, avec leurs chemises à carreaux, visuellement, c'est pas génial. Qui d'autre pour incarner ces Corbeaux et leur familiarité capillaire?

III And the Winner is...

Siouxsie, sans l'ombre d'un doute, qui avait l'avantage pour les dessinateurs d'avoir un "costume" à récupérer tel quel. Chris Claremont, le pape des séries à mutants de l'époque crée une communauté de parias difformes appelée Morlocks, tous plus freaks les uns que les autres, moitié clochards, moitié psychotiques, vivant cachés depuis des années dans les égouts de New York. Tout y est  : le côté Freak Show, la Cour des Miracles, la référence à (Saint) Edgard Allan Poe... Ne manquait qu'un leader. Ce sera Callisto, clairement inspirée de Siouxsie au niveau du look et qui, dans sa cache, écoute un vinyle de Bauhaus dans un épisode de 1989. Les auteurs s'offrent même le luxe du clin d’œil appuyé en lui faisant citer «  Happy House  » dans une de ses disputes avec la X-Woman Tornade, sa grande rivale (qui, a cette époque, s'habille et se coiffe comme une punk, tiens donc...). Le thème de leur dispute? Tornade revendique une idéologie pour tous les mutants et une modification de la société quand Callisto, elle, explique que sa communauté n'en a rien à foutre de ce qui se passe à l'extérieur, de la politique, des questions de races et que tout ce qui les intéresse, c'est leur propre quête de la rédemption. On se croirait au Batcave un soir de concert.
Par la suite (attention, spoiler!), les Morlocks seront quasiment tous massacrés par un autre groupe de mutants (je vous passe le pourquoi, trop long) mais les quelques survivants, dont la fameuse Callisto, deviendront nihilistes, fascinés par la mort, certains pratiquant l'auto-mutilation et les X-Men auront toutes les peines du monde à les empêcher de se suicider collectivement. Cliché encore, certes, mais la référence est claire et assumée.
D'autres personnages ressembleront à Siouxsie par la suite, comme Death (humaine devenant l’avatar de la Mort), ou Wicked qui peut voir les fantômes.

IV Mais encore...

Les années suivantes, au grès de l'attention des médias ou du cinéma, on reverra surgir des personnages «  goth friendly  ». Beeteljuice influencera clairement la nouvelle orientation du Joker (à moins que ce ne soit l'inverse?), les X-Men post-matrix porteront un trench en cuir noir, Malicia ressemblera un temps à la sœur de Marylin Manson... Sous l'influence de Tim Burton, encore, naîtront des avatars d'Edward aux Mains d'Argent, comme Chamber qui a un trou béant enflammé à la place de la gorge ou sa coéquipière Penance, muette et avec des lames de rasoirs au bout des doigts. Des univers entiers, en particulier dans les dystopies, utiliseront l'esthétique cyberpunk à outrance. A ce jeu-là, le dessinateur Chris Bachalo emporte la palme, quelle que soit la série sur laquelle il travaille.
Et d'une manière plus générale, on verra souvent apparaître des clubs inspirés des soirées gothiques (ou tout au moins de ce qu'en imaginent les quidam, nous prêtant bien plus de sulfureux que dans la réalité), faisant bien sûr l'amalgame classique avec le BDSM.

V Épilogue

Batman, ses thématiques et son esthétique, est clairement le comic le plus goth dans le mainstream, surtout depuis Frank Miller et les années 80. Il mériterait un article à lui seul.
De même que pour les punks, les comics se risquent très peu du côté de nos amis les métaleux, sans doute parce que, une fois encore, ils ne font pas bien la différence entre "eux" et "nous" (je déteste ces raccourcis, mais c'est un article, pas une thèse).
Quand on voit l'esthétique de la série "Gotham" ou le look cuir des films X-Men, gageons que tout cela n'est pas fini. Mais nous sommes, de fait, passés de mode et le comic s'en fait le reflet. Du coup, et bien ces derniers temps, ce sont les Emos qui voient leur look pompé. Mais quelle misère... Vite, une bière.
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